Migrants : comment Boris Johnson veut contourner la Cour européenne des droits de l’Homme
Freiné par la CEDH dans son projet d’expulser ses migrants illégaux vers le Rwanda, le Royaume-Uni entend adopter une loi lui permettant d’outrepasser les injonctions de cette juridiction.
Affrété à grands frais par le Royaume-Uni, le premier avion censé expulser sept migrants illégaux vers le Rwanda était prêt à décoller, le mardi 14 juin, quand la Cour européenne des droits de l’Homme a exigé que la légalité du dispositif devait être examinée par la justice britannique. Le vol a donc été annulé, provoquant la colère de Boris Johnson, furieux de voir une juridiction extérieure interférer dans ses affaires nationales. Résolu à faire appliquer coûte que coûte une mesure qu’il juge excellente pour freiner l’immigration illégale au Royaume-Uni – celle-ci a explosé en 2021 avec 28 500 arrivées, contre 8 466 l’année précédente – il a demandé à son gouvernement de présenter au Parlement, mercredi, un projet de loi permettant d’outrepasser les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme afin de pouvoir expulser, comme prévu, tous les migrants illégaux vers le Rwanda.
Une suprématie de la Cour suprême sur la CEDH
Pour y parvenir, son idée est de réformer le Bill of Rights, la législation nationale sur les droits de l’homme, en faisant en sorte que le gouvernement puisse ignorer les injonctions de la CEDH. Alors qu’aujourd’hui la loi incorpore la Convention européenne des droits de l’homme dans le droit britannique, d’où son pouvoir contraignant, le nouveau texte affirmerait la suprématie de la Cour suprême et l’indépendance des tribunaux britanniques. Le ministre de la Justice a estimé que cette déclaration des droits renforcerait « la fière tradition de liberté », celle qui a amené au choix du Brexit en 2016. Et bien que la CEDH n’ait rien à voir avec l’Union européenne, elle est, elle aussi, perçue comme trop interventionniste par le pouvoir conservateur. Le gouvernement argue notamment que les tribunaux nationaux avaient déjà validé le processus d’expulsion et qu’une deuxième étude n’est donc pas nécessaire. Il a toutefois assuré que le Royaume-Uni comptait rester membre de la CEDH.
A l’intérieur du pays, ce projet d’expulsion des migrants illégaux vers le Rwanda continue de susciter l’indignation. Le prince Charles est même sorti de la réserve que lui impose sa fonction pour qualifier, en privé, l’idée de « consternante ». Mercredi, il se trouvait d’ailleurs au Rwanda, afin de participer à une réunion des dirigeants du Commonwealth. Son épouse et lui-même ont été reçus par le président Paul Kagame, qui s’est réjoui, le 14 avril dernier, de l’adoption de cet accord de coopération, indiquant que son pays pourrait accueillir « des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir ».
En plus d’une somme de 144 millions d’euros versée au pays, cette décision est conforme aux velléités du président qui, selon le spécialiste de l’Afrique Antoine Glaser, interrogé par L’Express, « veut faire en sorte que les Africains restent sur le continent afin de le développer. Mardi, Kagame a défendu la capacité d’accueil de son pays, déclarant que la plupart des Rwandais avaient vécu « l’expérience d’être des réfugiés à un moment donné de leur vie ». Avant d’ajouter : « Nous savons ce que cela signifie et nous le faisons pour les bonnes raisons. »