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La Suède et la Finlande bientôt dans l’Otan : une monumentale gifle pour Vladimir Poutine

En levant son veto à l’entrée des deux candidats nordiques dans l’organisation de défense, le président turc Erdogan renforce son rôle géopolitique. Et affaiblit la Russie.

Quatre mois après le début de la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie, Vladimir Poutine vient de recevoir une monumentale gifle sous la forme d’une défaite stratégique majeure – par-delà les revers militaires sur le terrain qui, depuis le 24 février, ont révélé les limites de l’armée du Kremlin. Au premier soir du sommet des trente pays membres de l’Otan (28-30 juin) à Madrid, en Espagne, la Turquie a levé son veto à l’entrée de la Suède et la Finlande dans l’Alliance atlantique. Cette volte-face produit le contraire de ce que le président russe avait espéré – et exigé – avant le déclenchement de son « opération spéciale » en Ukraine.

En décembre, Moscou avait formulé par écrit un projet visant à obtenir « des garanties de sécurité fiables et à long terme ». Parmi les « lignes rouges » à ne pas franchir, selon Poutine, figurait l’élargissement de l’Otan à l’Ukraine. Le 24 décembre, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Maria Zakharova avait précisé que « si la Finlande et la Suède adhéraient à l’Otan, une structure militaire avant tout axée sur les actions agressives et non sur la défense, cela aurait de graves conséquences militaires et politiques qui exigeraient une réponse adéquate de la part de la Russie. » Loin d’avoir un effet dissuasif sur les deux pays nordiques – dont la tradition de neutralité les a longtemps tenus à l’écart de l’Otan -, l’invasion russe en l’Ukraine a produit l’effet inverse : elle les a décidés à rejoindre l’organisation de défense collective.

Mais en mettant son veto à ces candidatures le mois denrier – tout élargissement de l’Otan requiert l’approbation de la totalité de ses membres – le président turc a créé un effet de suspense hitchcockien. Hier, il s’est ravisé. Par cette séquence de six semaines, Recep Tayyip Erdogan a rappelé au monde, une fois encore, l’importance géopolitique majeure de son pays. De facto, la Turquie est déjà impliquée dans le conflit en Ukraine depuis son déclenchement fin février. Pour commencer, elle a fourni dès le début de la guerre les fameux drones Bayraktar TB-2 qui ont permis à l’Ukraine de stopper les premières offensives russes à Kiev et Kharkiv.

Ankara a aussi appliqué, dès février, la Convention de Montreux (datant de 1936) qui régit l’accès aux détroits du Bosphore et des Dardanelles, empêchant l’accès de navires de guerre russes à la mer Noire, conformément à ce que souhaitait l’Ukraine. « Nous avons décidé d’utiliser la Convention de Montreux de manière à empêcher l’escalade de la crise », avait alors justifié Erdogan en précisant, avec habileté : « Nous n’abandonnerons ni la Russie ni l’Ukraine et nous ne céderons pas non plus sur les intérêts nationaux. » De leur côté, les Etats-Unis, qui ont une lecture géomilitaire du monde, considèrent toujours la Turquie comme un allié principal au sein de l’Otan en raison de la dimension de leur armée, de la rivalité historique entre les deux anciens empires ottoman et russe et de l’importance vitale de la base aérienne américaine d’Incirlik située dans le sud de l’Anatolie.

Le mois dernier, l’ancien conseiller à la sécurité nationale à la Maison-Blanche Robert O’Brien se montrait d’ailleurs confiant à propos de la décision finale de la Turquie vis-à-vis de la Suède et de la Finlande : « Il faut que la Turquie, qui est un membre important de l’Otan, continue de jouer un rôle constructif vis-à-vis de la guerre en Ukraine, déclarait-il à L’Express. Mais il reste un gros travail diplomatique à accomplir afin qu’Ankara s’aligne sur le choix des autres capitales otaniennes et, ainsi, permettre l’élargissement à la Suède et à la Finlande. Je pense que cela finira par advenir car, sinon, le calcul serait négatif pour la Turquie. Cela signifierait que l’Europe s’éloignerait de ce pays, qui se retrouverait isolé. Cela serait problématique pour Erdogan, compte tenu de la situation économique de son pays et des menaces russe et iranienne qui pèsent toujours de manière latente sur la Turquie. »

La Suède et la Finlande étudieront les demandes d’extradition turques

Mardi soir, la Turquie a donc levé le blocage qu’elle faisait peser sur Stockholm et Helsinki dans le cadre d’un futur élargissement de l’Otan. La contrepartie ? Les ministres des Affaires étrangères de la Suède, de la Finlande et de la Turquie ont signé un mémorandum qui fixe le cadre des rapports entre les trois pays. Il satisfait plusieurs exigences d’Ankara. Les deux pays nordiques reconnaissent notamment par écrit qu’ils considèrent le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) comme une organisation terroriste. A vrai dire, le PKK est déjà considéré comme tel par une large partie de la communauté internationale, y compris le Département d’Etat américain et l’Union européenne. Mais la Suède abrite la plus importante communauté kurde du monde hors région du Kurdistan. Et les sympathisants du PKK ne se privent pas d’user de la grande liberté d’expression qui existe dans ce pays pour critiquer l’Etat turc. Ce qui est à l’origine des nombreuses frictions entre Stockholm et Ankara.

« La justice suédoise agit de manière indépendante »

La Suède et la Finlande confirment aussi par écrit qu’elles renforceront leur lutte contre le terrorisme (comprendre : contre le PKK) et étudieront les demandes d’extradition en cours à l’égard de ressortissants turcs opposés à Erdogan. Cela ne signifie pas que les gouvernements nordiques s’apprêtent à annoncer des extraditions. Comme l’a rappelé la ministre des Affaires étrangères de la Suède, Anna Linde, ce mercredi matin sur les ondes de la radio nationale, « la justice suédoise agit de manière indépendante ». L’une des concessions les plus importantes de Stockholm est en réalité la fin de l’embargo sur les ventes d’armes décidé en 2019. A la suite de l’offensive militaire turque en Syrie contre les combattants kurdes de l’YPG (affilié au PKK), la Suède, qui possède une importante industrie militaire, avait décidé de cesser tout commerce d’armement avec la Turquie. Stockholm revient donc sur cette décision qui, de toute façon, n’aurait pu être maintenue dans le cadre de son intégration à l’Otan.