Monde

Climat et santé : trois questions sur le plan colossal de Joe Biden, adopté par le Sénat

Les démocrates ont approuvé ce plan de plus de 430 milliards de dollars d’investissements, le plus grand investissement jamais vu aux Etats-Unis dans la lutte contre le changement climatique.

C’est un projet de loi baptisé « Inflation Reduction Act », fruit de difficiles tractations avec l’aile droite du parti démocrate. Celui-ci « va changer l’Amérique pour les décennies à venir », selon le chef des démocrates au Sénat Chuck Schumer. Après 18 mois de négociations et une nuit marathon de débats, le Sénat américain a adopté dimanche 7 août le grand plan de Joe Biden sur le climat et la santé, offrant une victoire d’étape significative au président, à moins de 100 jours d’élections cruciales.

Par leurs seules voix, les démocrates ont approuvé ce plan de plus de 430 milliards de dollars d’investissements, qui prend la route de la Chambre des représentants pour un vote final la semaine prochaine, avant d’être promulgué par Joe Biden. Tous les sénateurs républicains ont voté contre le texte, qu’ils accusent au contraire de générer des dépenses publiques inutiles.

  • Que contient le plan ?

« Inflation Reduction Act » est le plus grand investissement jamais vu aux Etats-Unis dans la lutte contre le changement climatique : 370 milliards de dollars pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici à 2030.

Plutôt que des sanctions contre les pollueurs, le projet de loi prévoit une série d’incitations financières destinées à faire évoluer l’économie américaine vers des sources d’énergie non fossiles. Une série de crédits d’impôt pour les producteurs et les consommateurs d’énergie éolienne, solaire et nucléaire ont été provisionnés. Avec cette réforme, un Américain pourra recevoir jusqu’à 7500 dollars en crédits d’impôts pour l’achat d’une voiture électrique. L’installation de panneaux solaires sur son toit serait prise en charge à 30%.

Quelque 60 milliards de dollars sont également prévus pour la construction d’éoliennes, panneaux solaires et véhicules électriques aux Etats-Unis. La même somme est allouée à une série de programmes pour assister les ménages les plus modestes dans leur transition énergétique, notamment via la rénovation de leur logement. Des investissements massifs pour renforcer la résilience des forêts face aux incendies qui ravagent le pays et protéger les zones côtières des ouragans figurent également dans cette réforme.

Le second volet de ce grand plan d’investissements entend corriger en partie les immenses inégalités dans l’accès aux soins aux Etats-Unis : 64 milliards de dollars d’investissements dans la santé sont prévus, notamment la baisse progressive du prix de certains médicaments, jusqu’à dix fois plus chers que dans d’autres pays riches. Grâce à l’Inflation Reduction Act », le Medicare, un système public d’assurance santé destiné aux plus de 65 ans et à ceux aux revenus les plus modestes, peut ainsi pour la première fois négocier directement les prix de certains médicaments avec les laboratoires pharmaceutiques, et ainsi obtenir des tarifs plus concurrentiels. Le plan oblige aussi les groupes pharmaceutiques à offrir des remises aux consommateurs pour certains médicaments dont le prix augmente plus vite que l’inflation. Le projet de loi prévoit par ailleurs de prolonger jusqu’à 2025 les protections de l' »Affordable Care Act », l’emblématique assurance santé plus connue sous le nom d' »Obamacare », la loi phare de Barack Obama.

En parallèle de ces investissements massifs, le « Inflation Reduction Act » entend réduire le déficit public via l’adoption d’un taux d’imposition minimal de 15% pour toutes les sociétés dont les profits dépassent le milliard de dollars. Ce nouvel impôt vise à empêcher certaines grosses sociétés d’utiliser les niches fiscales qui leur permettaient jusqu’ici de payer beaucoup moins que le taux théorique. Selon les estimations, cette mesure pourrait générer plus de 258 milliards de dollars en recettes pour l’Etat fédéral américain au cours des 10 prochaines années.

Le plan initial, qui prévoyait 3500 milliards de dollars de dépenses, puis 2220 milliards, a toutefois perdu de nombreuses mesures en chemin. Il n’est plus question, notamment, de financer les aides financières directes aux familles, la garde d’enfant ni l’école à trois ans. Elargir l’accès au congé maladie ou maternité n’est plus non plus d’actualité. Les progressistes ont également dû abandonner leurs ambitions de fournir de meilleurs soins pour les personnes âgées. « Des millions de retraités vont continuer à avoir des dents pourries et à ne pas recevoir les prothèses dentaires, auditives ou les lunettes qu’ils méritent », a critiqué l’ancien candidat aux primaires démocrates Bernie Sanders depuis l’hémicycle.

  • Comment a-t-il été adopté par le Sénat ?

Arrivé au pouvoir avec d’immenses projets de réformes, Joe Biden les a vues enterrés, ressuscités, puis enterrés à nouveau par un sénateur très modéré de son camp, Joe Manchin. La très fine majorité démocrate au Sénat offre à l’élu de Virginie-Occidentale, Etat connu pour ses mines à charbon, un quasi-droit de veto. Fin juillet, le chef des démocrates au Sénat Chuck Schumera finalement réussi à arracher un compromis à Joe Manchin.

Samedi 6 août, les sénateurs ont enfin commencé à débattre du texte dans l’hémicycle. Dans la soirée, ils sont entrés dans une procédure-marathon baptisée « vote-a-rama », lors de laquelle, les traits tirés, ils ont durant quinze heures d’affilée proposé des dizaines d’amendements et exigé un vote sur chacun.

L’occasion pour l’opposition républicaine, qui juge le plan Biden trop coûteux, et pour l’aile gauche démocrate, qui le voulait plus large, de présenter leurs doléances. Influent sénateur de gauche, Bernie Sanders a présenté plusieurs amendements censés renforcer le volet social du texte, considérablement rogné au cours des derniers mois.

  • Politiques, ONG, professionnels… Quelles sont les diverses réactions ?

Arrivé au pouvoir avec d’immenses ambitions de réformes, Joe Biden avait assuré que « ce projet de loi allait radicalement changer la donne pour les ménages américains et notre économie ». « Il a fallu faire de nombreux compromis. Faire des choses importantes en exige presque toujours », a souligné le président américain dans un communiqué publié dans la foulée de l’adoption du texte, exhortant la Chambre des représentants à l’adopter sans attendre. Le chef des républicains au Sénat Mitch McConnell a quant à lui accusé les démocrates de vouloir « doubler la mise sur leur désastre économique ».

« Le Sénat est enfin sur la même longueur d’onde que le public pour reconnaître l’urgence de la crise climatique », mais, « à l’avenir, davantage d’actions sont nécessaires », a pour sa part réagi dans un communiqué Johanna Kreilick, présidente de l’Union des scientifiques préoccupés (UCS), ONG traitant notamment des questions environnementales.

Les constructeurs automobiles saluent quant à eux des mesures qui « contribueront à accélérer la conversion » de l’industrie du pays, mais déplorent que « les exigences en matière de crédit d’impôt » rendent la plupart des modèles « inéligibles », selon John Bozzella, PDG de l’Alliance pour l’innovation automobile, groupement de constructeurs américains et étrangers représentant près de la totalité des voitures vendues aux Etats-Unis. « C’est une occasion manquée à un moment crucial » qui met « en péril notre objectif collectif de 40 à 50% de ventes de véhicules électriques d’ici 2030 », a-t-il regretté.

En outre, l’organisation patronale Business Roundtable a critiqué l’adoption d’un taux d’imposition minimal de 15% pour toutes les sociétés dont les profits dépassent le milliard de dollars, comme l’a repéré Les Echos. « L’économie américaine a connu deux trimestres consécutifs de baisse du PIB et risque de connaître un déclin économique prolongé. Imposer des augmentations d’impôts de plus de 300 milliards de dollars pendant une période de ralentissement économique est la mauvaise politique au mauvais moment », a déploré samedi l’organisation patronale dans un communiqué.