Economie

Pouvoir d’achat: Un expert appelle Lakjaa à se pencher sur les marges de bénéfice des distributeurs

Le retour à la subvention des carburants nécessitera 60 milliards de DH supplémentaires à l’État, a affirmé Fouzi Lekjaa, en réponse aux questions orales des parlementaires, lundi, à la Chambre des représentants sur les mesures prises par le gouvernement pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens et atténuer l’impact de la hausse des prix des produits de base.

D’après le ministre délégué auprès de la ministre de l’Économie et des Finances, le retour à la compensation, qui n’est pas envisageable ou encore doit se faire communément, se fera « au détriment des politiques d’éducation, de santé, de sécurité et d’investissement » et notamment « la mise en œuvre de chantiers et de grands projets, censés améliorer le quotidien des citoyens à tous les niveaux ».

La réponse de Fouzi Lekjaa n’est pas passée inaperçue auprès des observateurs. Que veut-il dire exactement ? Le citoyen doit-il supporter le coût des réformes et de ces Big chantiers en plus des impôts et taxes qu’il paye au quotidien ? N’y aurait-il pas d’autres solutions devant le gouvernement que de livrer une telle réponse « frustrante » alors que la situation socio-économique au Maroc est catastrophique ?

Sollicité à ce sujet par Hespress Fr, l’universitaire et président du centre indépendant des analyses stratégiques, Driss Effina, estime qu’il faut tout d’abord revenir à la période de la réforme de la caisse de compensation, opérée par le gouvernement Benkirane en 2015.

« Cette réforme a été accompagnée (sur le papier) d’un certain nombre d’engagements que le gouvernement PJD connaît très bien. À l’époque de Benkirane, il y avait une clause qui évoque le cas où les prix des carburants atteignent un niveau insupportable pour l’économie. Dans ce cas-là, des mesures ont été mises en place et tout le monde les a apparemment oubliées », avance l’économiste.

En effet, en lançant la réforme de la caisse de compensation, notamment la décompensation des hydrocarbures, l’Etat s’est engagé à garantir l’approvisionnement du marché en un produit de bonne qualité tout un gardant un œil sur les prix. Pour éviter toute concurrence déloyale qui pourrait s’instaurer, le gouvernement pourrait se baser sur la loi sur la concurrence et la liberté des prix comme étant le cadre légal pour éviter ce genre de pratique.

Les parlementaires n’ont pas eu le courage d’évoquer les bénéfices des distributeurs

Revenant à la déclaration de Fouzi Lekjaa, l’universitaire estime que le ministre « reste un technicien et non un politicien dans le gouvernement. Il tient ce langage en tant que technicien qui ne prend pas en considération les effets politiques et socio-économiques ». « Il est en train de mener une mission purement technique », soutient-il.

« Même dans les pays développés on prête attention aux impacts sociaux de la hausse des prix des carburants, notamment aux USA et au Japon. Il y a des trends, et des politiques mises en place pour limiter les conséquences de cette hausse sur l’économie. Lors de cette séance des questions orales, il n’y avait pas de parlementaires qui ont eu le courage de dire haut et fort à Lekjaa que les gagnants dans cette affaire sont les distributeurs et l’Etat. Les distributeurs à travers leur marge de bénéfice et l’Etat à travers la charge fiscale qui pèse sur ce secteur-là », explique l’universitaire.

En conséquence, poursuit Effina, « nous avons des solutions devant nous qui doivent être appliquées immédiatement sans toucher à la réforme effectivement de la caisse de compensation qui a été menée à un moment donné et sans toucher aux engagements de l’investissement qui sont liés au projet de la couverture sociale », dit-il.

Parmi ces solutions, propose Driss Effina, « il faut tout simplement que Fouzi Lekjaa, à travers le ministère des Finances, demande aux distributeurs de réduire leur marge. Une mesure qui s’applique même au Japon pour les distributeurs de carburants en cas de hausse des prix ».

Deuxième solution, poursuit-il, « l’Etat doit réduire tout ce qui est charge fiscale et droits de douane appliqués aux différents types de produits énergétiques ».

Le Chef du gouvernement doit se prononcer sur cette réforme

« Les solutions sont donc entre nos mains et il faut les appliquer. Aujourd’hui, on a tout répercuté sur le consommateur final. C’est désolant ce qui se passe. Ça dépasse le marché libéral. Nous sommes en train de détruire notre économie, et nous sommes en train de créer des tensions qui risquent d’avoir des conséquences imprévisibles », déplore l’universitaire.

Par ailleurs, Driss Effina estime que c’est au Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, de » se prononcer sur le sujet de la réforme de la caisse de compensation au lieu de laisser à Lekjaa cette responsabilité, car dans tous les cas, ce n’est pas à lui de donner cette réponse ».

Selon l’universitaire, « les parlementaires n’ont pas bien saisi la déclaration de Lekjaa, qui s’est prononcé à la place du chef du gouvernement. Ils étaient censés avoir une réponse politique et non pas une réponse technique qui pouvait être donnée même par un chef de service, un chef de division ou un directeur administratif, vu que la réponse était purement administrative. Il ne faut pas oublier que nous sommes gérés par un gouvernement politique et non par une administration », rappelle l’économiste.

Tout en insistant sur l’application des engagements ayant accompagné la réforme de la caisse de compensation, Driss Effina soutient que le moment est venu pour que le gouvernement se prononce à ce sujet et adopte la continuité de l’Etat dans ce projet de réforme ».

« Nous ne sommes pas le premier pays à être touché par cette crise. Nous ne sommes pas non plus les seuls concernés. Par contre, il y a beaucoup de pays comme nous, qui n’ont pas de pétrole et qui sont très développés. Ces pays ne laissent pas le cours du pétrole contrôler le rythme de leur croissance comme ce qui se fait chez nous. Il faut donc réagir », conclut l’universitaire.