Sahara: ce que le virage historique du parti de Jacob Zuma dit du basculement à venir en Afrique du Sud
En rompant avec le soutien historique de Pretoria au Polisario, uMkhonto we Sizwe, le parti de l’ancien président Jacob Zuma et nouvelle force montante en Afrique du Sud, marque la fin de cycle d’un bloc façonné par l’ANC. Un virage historique qui isole davantage l’Algérie et conforte la stratégie panafricaine du Maroc. Décryptage.
C’est un séisme diplomatique qui pourrait redessiner la carte de bien des alliances africaines. Depuis Rabat, l’ancien président sud-africain Jacob Zuma a formalisé, mardi 15 juillet, un tournant majeur. Son parti, l’uMkhonto we Sizwe (MK), troisième force politique du pays et principal parti de l’opposition, soutient désormais officiellement l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine. Une rupture sans précédent avec la ligne historique défendue en bloc et deux décennies durant par Pretoria, défenseur actif du séparatisme du Polisario et allié de circonstance de l’Algérie en la matière.
Le ton avait été donné dès le 9 juin dernier par la publication d’un document de 17 pages, «A Strategic Partnership for African Unity, Economic Emancipation and Territorial Integrity: Morocco», véritable manifeste politique rompant le consensus pro-Polisario jusque-là intangible en Afrique du Sud. C’est désormais officiel. «La solution marocaine d’autonomie permettra une gouvernance locale significative par les populations de la région du Sahara, tout en garantissant au Maroc sa souveraineté», a martelé Jacob Zuma à l’issue de ses entretiens avec le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita.
Pour l’ex-président, le choix est assumé. «Notre parti reconnaît le contexte historique et juridique qui renforce la revendication du Maroc sur le Sahara et estime que les efforts du Maroc pour recouvrer sa pleine intégrité territoriale s’inscrivent dans la continuité de l’engagement du MK à préserver la souveraineté et l’unité des États africains», a-t-il déclaré.
Le MK, né en 2023 d’une scission de l’ANC de Nelson Mandela, ancre sa nouvelle orientation dans l’histoire partagée entre Rabat et Pretoria. Magasela Mzobe, président de la Commission des relations internationales du parti, l’a rappelé sans détour dans une déclaration officielle. «Nous nous souvenons que notre grand leader, Nelson Mandela, s’est formé au Maroc en 1962 et a bénéficié d’un soutien financier et militaire de la part du Royaume», a-t-il rappelé.
L’ANC sous pression
À l’heure où cette nouvelle position était officialisée à Rabat, l’ANC (African National Congress), encore au pouvoir à Pretoria, n’avait pas réagi. Mais ce geste, le dernier d’une série en moins d’un an après la publication dudit document et, avant, la visite du vice-président du Comité des relations internationales de l’ANC à Rabat en octobre 2024, risque de fissurer davantage une posture longtemps monolithique. Des courants au sein de l’ANC réclament d’ailleurs depuis plusieurs années une révision de la ligne pro-Polisario, sans jamais parvenir à imposer leur vision.
Mais l’affaiblissement du bloc majoritaire, conjugué à l’irruption du MK sur l’échiquier politique, offre de nouveaux leviers.
La percée électorale du MK (qui a engrangé en mai 2024 quelques 14% des voix à l’échelle nationale) rebat les cartes du paysage politique sud-africain. En se hissant au rang de troisième force politique, le mouvement de Zuma bouleverse la domination historique de l’ANC, qui marquait là sa plus cuisante catastrophe électorale depuis la fin de l’Apartheid.
L’érosion de l’ANC était prévisible, explique une source diplomatique bien au fait de la réalité sud-africaine: scandales de corruption à répétition, perte de crédibilité idéologique et incapacité à enrayer la stagnation économique ont peu à peu sapé l’assise du parti de Nelson Mandela. S’y ajoute l’incapacité de Pretoria à fédérer son voisinage, réuni autour de la SADC (La Communauté de développement de l’Afrique australe).
«L’ANC (40% des voix en 2024, NDLR) a perdu sa majorité absolue, et le président Ramaphosa a été contraint de composer une coalition de circonstance avec ses anciens adversaires du DA (Alliance Démocratique, 20%). Un mariage de raison qui peine déjà à masquer les divisions internes», souligne-t-elle.
Dans ce vide politique, Zuma joue une carte inattendue. L’ex-chef de l’État s’appuie sur un socle régional solide, soit le KwaZulu-Natal, bastion historique de la communauté zouloue… et fief historique de l’ANC. Plus qu’un avatar contestataire, le MK cristallise des revendications identitaires puissantes et un sentiment de revanche face à l’establishment de Pretoria. «Personne ne s’attendait à ce qu’il fédère un tel mouvement autour du facteur ethnique. Aujourd’hui, ce culte zoulou redevient une arme électorale aux mains du MK. Et c’est loin d’être fini», confie ce proche du dossier.
Autant dire que l’évolution actuelle ouvre une fenêtre d’opportunité pour le Maroc. «L’équation devient plus complexe pour le camp séparatiste. Les hostilités internes à l’ANC et la montée d’une opposition forte favorisent un rééquilibrage du positionnement sud-africain», pointe notre source. Une bascule discrète mais décisive que certains analystes jugent déjà inévitable.
Un effet domino annoncé
C’est l’avis du politologue Mustapha Tossa pour qui l’alignement du MK pourrait faire basculer l’architecture diplomatique sud-africaine. «Ce positionnement de Jacob Zuma et son parti aura un impact inévitable sur l’ensemble de la classe politique sud-africaine et même sur le pouvoir actuel. Pragmatique, la position va rejaillir sur toute la classe dirigeante», affirme-t-il.
En clair, Pretoria pourrait ne plus être le bastion inébranlable du Polisario sur le continent. D’autant que l’Afrique anglophone montre déjà des signes de bascule. Le Ghana et le Kenya ont d’ailleurs récemment exprimé leur appui à la solution marocaine. «La diplomatie marocaine ne s’est pas contentée de labourer les terres francophones africaines, elle s’est attaquée aux citadelles anglophones. Et ces bastions tombent les uns après les autres pour débarrasser l’Afrique de ce cauchemar séparatiste», souligne Mustapha Tossa.
En choisissant de tourner la page d’un soutien inconditionnel au Polisario, Jacob Zuma et son parti renvoient la balle dans le camp du pouvoir sud-africain. Entre mémoire, pragmatisme économique et nouveau contexte géopolitique, le front séparatiste voit l’un de ses plus influents soutiens vaciller. L’Algérie, dernier soutien véritable du Polisario dans le continent, est plus que jamais isolée. Et le Maroc, lui, récolte les fruits d’une diplomatie patiente, méthodique et résolument panafricaine. En Afrique du Sud, et à l’évidence, les slogans d’hier cèdent devant les ambitions d’aujourd’hui. La promesse? «Si les deux puissances de l’Afrique parviennent à dépasser leurs différends sur la question du Sahara, elles pourront sceller une alliance stratégique qui produira des projets économiques gigantesques et structurants», anticipe Mustapha Tossa. «Toute la physionomie africaine, notamment eu égard à son environnement international, sera transformée», conclut le politologue. Il serait temps.
Source : fr.le360.ma