Economie

Martin Tisné (AI Collaborative): «L’IA doit être gouvernée dans l’intérêt public»

Dans son intervention lors de la séance plénière d’ouverture des Assises nationales de l’intelligence artificielle, organisées les 1er et 2 juillet à Rabat, Martin Tisné, directeur général d’AI Collaborative, a appelé le Maroc à jouer un rôle moteur dans la conception d’une gouvernance éthique et souveraine de l’IA.

Selon lui, le Royaume dispose d’un créneau inédit pour imprimer sa marque avant que les modèles dominants ne deviennent des standards mondiaux difficilement influençables. «C’est notre chance. Saisissons ce moment ensemble», a-t-il lancé, saluant l’initiative marocaine comme un signal fort de leadership stratégique dans un contexte international marqué par la précipitation technologique.

L’intervenant, dont l’organisation défend le développement d’une IA démocratique, a insisté sur l’urgence d’enraciner les usages de cette technologie dans les besoins réels des sociétés, loin des logiques de puissance ou de captation industrielle. «L’intelligence artificielle doit être gouvernée dans l’intérêt public», a-t-il souligné.

Poursuivant, Tisné a ajouté que la question centrale n’est pas tant celle de la puissance des modèles que de leur capacité à répondre aux attentes des citoyens. Il a alors appelé le Maroc à faire le choix d’une IA utile, régulée et alignée sur les valeurs locales, notamment dans des domaines comme la santé, l’éducation ou l’inclusion linguistique.

Une architecture en trois leviers pour bâtir une IA souveraine

Pour Martin Tisné, la construction d’une stratégie nationale efficace ne peut se faire qu’en structurant trois piliers fondamentaux. Le premier est celui de la donnée. Il a ainsi plaidé pour une gouvernance des données soucieuse de leur qualité, leur accessibilité, leur fiabilité et leur diversité.

«Il faut structurer les corpus autour de la diversité linguistique, notamment en arabe et en français, tout en respectant la vie privée», a-t-il souligné, citant notamment l’idée de data trusts publics pour mutualiser les données à usage collectif. Il a aussi évoqué la séparation entre les modèles et les données personnelles comme levier de souveraineté technique.

Le deuxième levier est relatif à l’écosystème technologique. L’intervenant milite pour un environnement ouvert, fondé sur l’open source et la logique de communs numériques. «Il est essentiel que les développeurs puissent collaborer librement et que les briques technologiques soient accessibles à tous», a-t-il déclaré, en appelant à une architecture qui permette la co-construction de modèles adaptés aux usages locaux. Pour lui, l’avenir de l’IA mondiale passe par cette dynamique distribuée et inclusive.

Enfin, la troisième composante est celle de la redevabilité. Martin Tisné a insisté sur le besoin d’outiller les États pour mesurer les impacts sociaux et anticiper les effets secondaires, avant qu’ils ne s’installent durablement. «Tirons les leçons de l’ère des réseaux sociaux. Il ne faut pas attendre dix ans pour agir sur les effets de l’IA», a-t-il prévenu.

Il a dans ce sens proposé de structurer des références humaines pour évaluer les usages réels: dans le suivi des soins, les parcours scolaires ou encore le traitement des maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou l’AVC.

Une vision pour l’Afrique en quête d’alignement stratégique

Tout au long de son intervention, Tisné s’est attaché à formuler un récit alternatif de l’IA, complémentaire de celui porté par les grands groupes technologiques. «Il ne suffit pas de courir après la puissance des modèles. Il faut ancrer l’IA dans les usages, les institutions et les choix de société», a-t-il insisté.

L’intervenant a aussi estimé que les pays africains ont une carte à jouer dans la redéfinition des équilibres internationaux du numérique. Dans ce contexte, il a annoncé la signature d’un accord de collaboration avec les autorités marocaines, dans le but d’accompagner le pays dans la mise en place d’une IA ouverte, inclusive et fondée sur des valeurs.

L’appel est clair: il ne faut pas attendre que les infrastructures, les usages et les modèles soient dictés de l’extérieur. «Tout commence avec les hommes et leurs besoins. C’est notre chance. Le Maroc peut saisir ce moment unique pour bâtir une IA stratégiquement alignée avec ses citoyens», a conclu Martin Tisné.

Source : h24info.ma