Culture

«Identity to rent» : le foisonnement créatif de Yassine Balbzioui

Paru aux éditions Iwalewabooks, «Yassine Balbzioui, Identity to Rent» est une œuvre d’art en soi. Rendant hommage à l’artiste, en plongeant dans dix ans de projets protéiformes, de peintures psychédéliques et de performances audacieuses, le livre est une pépite, fidèle à l’artiste dans ce qu’il incarne si bien : une liberté totale, un style inclassable.

Comment orchestrer un chaos qui s’assume ? C’est la bien belle aventure qu’ont partagée l’artiste caméléon et son éditrice Katharina Fink, embarqués dans le récit vertigineux d’une création tentaculaire et indomptable. Pour Yassine Balbzioui, «il fallait d’abord poser cette dispersion, puis l’organiser, mais sans la justifier». Et d’ajouter, sans prétention : «La seule ligne directrice, c’est moi».

C’est que l’artiste se refuse à l’ordre, non par caprice, mais par nécessité. Dans ce qu’il appelle chaos, une énergie bouillonne en permanence, donnant naissance à des corps et éclats divers, déformant le réel pour mieux le transformer, tel un volcan en éruption. Pour rendre hommage à ce salmigondis artistique, l’ouvrage «Identity to Rent» compile les textes de sept auteurs qui, comme Katharina Fink, connaissent bien l’artiste. Ni catalogue, ni biographie, le beau livre est construit en dialogue avec Yassine, plutôt qu’autour de son œuvre. Les auteurs peuvent s’adonner à l’analyse des projets, comme laisser libre cours à leurs inspirations respectives. Les textes y sont écrits en anglais et traduits en français et en arabe classique.

Trois années de travail ont été nécessaires pour recenser les projets, sélectionner ceux qui figureront dans le livre et s’atteler à l’écriture. Heureusement, l’artiste a pu compter sur la complicité de longue date de la chercheuse et curatrice Katharina Fink, qui a accompagné de nombreux projets à travers le Maroc et au-delà. Mais une fois le livre terminé, il manquait encore quelque chose. «J’ai donc dessiné dans tout le livre avec l’iPad, de telle manière qu’on voit tout de même le texte», explique Balbzioui, tout en griffonnant un dessin improvisé dans une sorte de performance finale, en lieu et place de la traditionnelle dédicace lors de la présentation du livre.

Expositions, performances, expériences : chaque projet évoqué dans l’ouvrage est, pour l’artiste, une part de lui-même. «Ce sont mes bébés», dit-il tendrement. Mais il y en a qui l’ont profondément marqué. Comme cette performance dans une piscine vide, intitulée «Private Pool», à Dak’Art Off en 2018 : «J’ai tout dessiné : l’espace, les costumes, la musique. Le public était autour et l’œuvre au fond du bassin. Ce n’était pas de la musique africaine, parce que pour moi, l’exotisme et la folklorisation stérilisent l’échange», dit l’artiste en feuilletant son propre livre.

Peintre avant tout, Balbzioui est resté fidèle à sa matière d’origine. «J’ai commencé par là. J’ai connu le trait dans le dessin et la matière dans la peinture. Je construis mes tableaux comme des scénarios de film. Chaque pièce est unique. Je ne fais pas de séries, parce que j’ai peur que ça m’enferme dans une routine, une paresse que je ne pourrais pas assumer par la suite».

C’est peut-être en cherchant à fuir ce confort qu’il s’est tourné vers d’autres médiums : performance, vidéo, installation, collaborations. «Chaque médium impose ses propres règles du jeu, alors que la peinture reste un plaisir solitaire», exprime l’artiste qui avoue n’avoir jamais de plan, si ce n’est de faire confiance à son instinct, d’accepter de revenir sur les sujets,

les techniques et les obsessions. «Je crois que la démarche d’un artiste ne monte pas. Elle tourne», conclut l’artiste qui n’en finit pas de virevolter dans ses carrousels.

Source : lematin.ma