Hôtellerie au Maroc : une pénurie de collaborateurs qualifiés
Par Darem Bouchentouf
Le Maroc a toujours misé sur son hospitalité comme l’un de ses plus grands atouts. Bien avant que le mot “tourisme” ne fasse son entrée dans les plans stratégiques, accueillir l’étranger faisait partie de notre quotidien. On offrait un verre de thé, un coin de tapis, un repas chaud, sans rien attendre en retour. Ce n’était pas une règle écrite, c’était simplement la manière d’être. Dans les médinas comme dans les villages reculés, cette hospitalité était une évidence, presque une obligation morale. C’est elle qui a façonné l’image d’un Maroc ouvert, généreux, et qui continue encore aujourd’hui à surprendre le visiteur.
Et pourtant, le paradoxe est là : alors que le pays investit massivement dans des hôtels modernes, des resorts d’envergure et tout un arsenal d’infrastructures touristiques, il lui manque l’essentiel – des collaborateurs qualifiés, formés et motivés à incarner cette promesse. Un hôtel peut bien afficher cinq étoiles sur sa façade, si les équipes n’arrivent pas à délivrer le service qui va avec, l’expérience s’écroule.
Les écoles hôtelières existent, elles produisent des promotions entières de jeunes diplômés chaque année, mais le décalage avec la réalité reste frappant. Trop peu de pratique, pas assez de langues étrangères maîtrisées, une connaissance parfois limitée des standards internationaux, et une adaptation encore lente aux outils numériques. Beaucoup de jeunes préfèrent d’ailleurs tenter leur chance ailleurs, en Europe ou au Moyen-Orient, là où les conditions sont plus avantageuses et les perspectives plus rapides. Résultat : on forme, mais on n’arrive pas à retenir.
Le manque se voit immédiatement sur le terrain. Vous pouvez avoir un hôtel au design somptueux, une piscine qui se perd dans l’horizon et une carte gastronomique travaillée… si l’accueil est froid ou que le service manque d’attention, le souvenir du client restera mitigé. Or, c’est justement cette chaleur humaine, cette façon d’accueillir l’autre comme un invité d’honneur, qui distingue le Maroc de ses concurrents. La perdre serait une faute lourde.
Alors oui, la situation est inquiétante. Mais elle peut aussi être l’occasion de se réveiller.
Cette pénurie nous force à remettre les métiers de l’hôtellerie au centre, à leur rendre la dignité qu’ils méritent. On voit déjà des initiatives prometteuses, qui mêlent formation technique, langues et compétences relationnelles, ou encore certaines chaînes qui travaillent sérieusement leur marque employeur pour fidéliser leurs équipes. Ce ne sont que des débuts, mais c’est encourageant.
L’avenir de l’hôtellerie marocaine dépendra de notre capacité à marier deux forces : d’un côté, l’hospitalité séculaire qui fait partie de notre identité, et de l’autre, l’adaptation aux attentes d’un voyageur moderne, plus exigeant et plus connecté. Cela suppose de moderniser la formation, d’améliorer les conditions de travail, et surtout de valoriser les femmes et les hommes qui portent ce secteur à bout de bras. Car au fond, l’hôtellerie n’est pas une industrie comme les autres : elle raconte quelque chose de nous, elle traduit la manière dont un pays considère ses visiteurs.
Voilà pourquoi je reste confiant. Si nous réussissons à concilier notre héritage immatériel avec des compétences professionnelles solides, alors nous aurons un avantage incomparable. Dans un monde où le voyageur cherche de l’authenticité et des émotions vraies, notre richesse ne réside pas seulement dans nos paysages ou nos infrastructures, mais dans ce que nous avons de plus ancien et de plus précieux : l’art d’accueillir.