Culture

Conflit entre le Rwanda et la RDC: le Maroc à la croisée des enjeux africains

Depuis la reprise des combats par le groupe rebelle M23, en 2021, nombre de médiations régionales et internationales ont été tentées de mettre fin à la guerre. La prise de la ville de Goma marque un nouveau tournant dans ce conflit qui devient un enjeu géopolitique majeur. L’heure est plus que jamais à la diplomatie. Le Maroc se joint aux efforts de la communauté internationale afin d’apaiser les tensions. Yassine El Yattioui, secrétaire général et chercheur associé au Think tank NejMaroc, spécialisé sur les questions de diplomatie, d’intelligence économique et de géopolitique, nous apporte son décryptage.

Le conflit entre la République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, nourri par l’insurrection du groupe rebelle M23, demeure l’un des dossiers les plus préoccupants de la scène africaine. Cette crise, qui a franchi un nouveau seuil d’intensité depuis fin 2024, a plongé la région des Grands Lacs dans une instabilité chronique. Le M23, qui accuse le gouvernement congolais de ne pas respecter les accords de paix précédents, continue de gagner du terrain, notamment dans l’Est du Congo, une région minée par l’insécurité depuis des décennies. Ce conflit n’est pas seulement une guerre civile régionale : il est devenu un enjeu géopolitique majeur, où s’entremêlent rivalités frontalières, ressources naturelles, et influence diplomatique.

Depuis le début de l’année 2025, les violences ont provoqué le déplacement de près d’un million de personnes, selon les données récentes de l’ONU. La situation humanitaire est désastreuse, avec des camps de réfugiés saturés et une population civile prise en étau entre les offensives militaires du M23 et les frappes des forces armées congolaises. À cela s’ajoute l’enjeu crucial du contrôle des ressources minières, notamment le coltan et le cobalt, deux minerais stratégiques dont la RDC est le premier producteur mondial. Ces richesses attisent les convoitises et complexifient davantage la situation.

Face à cette crise, la diplomatie internationale s’efforce de jouer un rôle d’apaisement, bien que sans grand succès jusqu’à présent. En mars 2025, l’intervention du Qatar a marqué un tournant notable, avec la rencontre entre le président Félix Tshisekedi de la RDC et son homologue rwandais Paul Kagame. Cette initiative a été saluée comme un premier pas vers un dialogue direct entre les deux chefs d’État, après des mois de tensions exacerbées. Toutefois, malgré cet effort diplomatique, les affrontements se sont poursuivis sur le terrain, démontrant les limites d’une médiation purement symbolique.

Dans ce contexte, la diplomatie marocaine se doit impérativement d’entrer en scène. Le Maroc, grâce à sa position géostratégique, à son leadership continental, et à sa politique étrangère proactive, a les atouts nécessaires pour jouer un rôle clé dans la résolution de ce conflit. Depuis son retour au sein de l’Union Africaine en 2017, le Royaume a multiplié les initiatives diplomatiques, consolidé ses relations bilatérales avec de nombreux États africains, et investi massivement dans des projets de développement en Afrique subsaharienne. En 2024, le Maroc représentait déjà l’un des principaux investisseurs africains dans la région, avec des flux d’investissement dépassant 3 milliards de dollars dans des secteurs clés tels que les infrastructures, les banques, et l’agriculture.

Le Maroc bénéficie également d’une crédibilité unique, bâtie sur sa capacité à entretenir des relations équilibrées avec l’ensemble des acteurs du continent. Contrairement à d’autres puissances régionales ou internationales, le Maroc n’a pas d’agenda caché dans les Grands Lacs. Son implication serait perçue comme celle d’un partenaire neutre, désireux de promouvoir la paix et la stabilité. Ce positionnement lui confère un avantage diplomatique de taille, à l’heure où de nombreux États africains dénoncent l’ingérence étrangère dans leurs affaires internes.

L’enjeu pour le Maroc dépasse toutefois le cadre strictement bilatéral. En jouant un rôle de médiateur dans le conflit entre la RDC et le Rwanda, le Royaume pourrait renforcer son statut de puissance africaine incontournable et asseoir son influence sur la scène internationale. Cette démarche s’inscrirait dans la continuité des efforts diplomatiques déjà déployés par le Maroc dans d’autres crises africaines, notamment en Libye, où le Royaume a facilité les accords de Skhirat en 2015, ou encore en Guinée, où il a contribué à stabiliser la transition politique après le coup d’État de 2021.

Cependant, le Maroc doit également agir pour éviter que la médiation qatarie ne monopolise l’espace diplomatique. Le Qatar, grâce à ses ressources financières considérables et à sa stratégie d’influence active en Afrique, cherche à s’imposer comme un acteur clé dans la résolution des conflits africains. En rassemblant Félix Tshisekedi et Paul Kagame à Doha, le Qatar a marqué des points sur le plan diplomatique, mais il reste perçu par certains comme un acteur extérieur peu familier des dynamiques locales. Si le Maroc n’intervient pas rapidement, il risque de voir son rôle marginalisé dans une région où il dispose pourtant de nombreux atouts.

L’intervention marocaine pourrait prendre plusieurs formes. Tout d’abord, le Royaume pourrait proposer d’accueillir des négociations de paix à Rabat, Casablanca ou Marrakech, en s’appuyant sur son savoir-faire diplomatique et sur ses relations de confiance avec les dirigeants africains. Ensuite, il pourrait jouer un rôle de facilitateur en mobilisant l’Union Africaine et les organisations régionales telles que la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), dont le Rwanda et la RDC sont membres. Enfin, le Maroc pourrait mettre à disposition son expertise en matière de déradicalisation et de réintégration des ex-combattants, un domaine où il a accumulé une expérience précieuse grâce à son programme de lutte contre l’extrémisme violent.

Il est également essentiel de souligner que l’implication marocaine dans la résolution du conflit RDC-Rwanda pourrait renforcer l’image du Royaume auprès des grandes puissances internationales, notamment les États-Unis et l’Union Européenne. Ces acteurs, préoccupés par la montée des tensions en Afrique et par les risques de déstabilisation régionale, pourraient voir dans le Maroc un allié stratégique capable de jouer un rôle stabilisateur. Cela pourrait se traduire par un renforcement de la coopération sécuritaire et économique entre le Maroc et ses partenaires occidentaux, à un moment où le Royaume cherche à diversifier ses alliances internationales.

Enfin, l’engagement du Maroc dans ce dossier renforcerait la cohérence de sa politique africaine, axée sur la promotion de la paix, du développement et de la coopération Sud-Sud. Cette vision, incarnée par le roi Mohammed VI, repose sur la conviction que l’Afrique doit prendre son destin en main et résoudre ses crises internes sans dépendre exclusivement de l’aide ou de l’ingérence extérieure. En intervenant dans la crise des Grands Lacs, le Maroc pourrait donner corps à cette ambition et démontrer que la solidarité africaine n’est pas un simple slogan, mais une réalité concrète.

En somme, la diplomatie marocaine dispose d’une fenêtre d’opportunité unique pour s’imposer comme un acteur majeur dans la résolution du conflit RDC-Rwanda. Cette implication serait bénéfique non seulement pour la stabilité de la région des Grands Lacs, mais aussi pour le rayonnement international du Maroc. Il appartient désormais au Royaume de saisir cette opportunité et de mettre à profit ses atouts diplomatiques, économiques et stratégiques pour contribuer à l’émergence d’une paix durable en Afrique. Une telle démarche renforcerait son statut de puissance africaine incontournable et confirmerait son rôle de leader dans la promotion de la paix et du développement sur le continent.

Source : h24info.ma