Burkina Faso, Mali… Comment Poutine exporte sa guerre contre l’Occident en Afrique
Le Burkina Faso a vécu son deuxième coup d’Etat en neuf mois. Applaudi des deux mains par les propagandistes russes.
Par les temps qui courent, il n’y a pas de petite victoire pour le Kremlin, si loin soit-elle du front ukrainien, où l’armée russe essuie revers sur revers. A 5000 kilomètres des combats, sur un autre continent, au Burkina Faso, un événement ravit les cerbères de Vladimir Poutine. Un coup d’État – un de plus au Sahel – a renversé le 2 octobre le lieutenant-colonel Damiba, ayant lui-même pris le pouvoir par la force neuf mois plus tôt, en plein désastre humanitaire dans ce pays miné par le terrorisme. Quel rapport avec Moscou ? Le putschiste déchu, qui avait semble-t-il refusé les avances des mercenaires russes de Wagner, cède la place à un autre putschiste, peut-être plus sensible aux oeillades de l’armée de l’ombre de Poutine. Le « pays des Hommes intègres » rejoindrait alors la liste des États alliés à ces paramilitaires sans foi ni loi, soupçonnés de nombreuses exactions sur des civils.
Rien n’est encore signé, mais déjà le patron de Wagner Evgueni Prigogine et ses relais africains ont applaudi le nouvel homme fort du Burkina Faso, Ibrahim Traoré. « Je salue et soutiens le capitaine Traoré », a déclaré Prigogine. « On avertissait hier le scélérat Damiba que ça allait chauffer pour lui. Et cette nuit patatra. Et ce n’est que le début… Aux soumis à la FRANÇAFRIQUE, aux mendiants du néocolonialisme, vous êtes tous sur un siège éjectable », a tweeté Kemi Seba, un influenceur franco-béninois proche des idéologues antioccidentaux russes, qui a rencontré Poutine plusieurs fois.
Le Burkina Faso dans le viseur des Russes
Depuis plusieurs mois, le Burkina Faso est dans le viseur du Kremlin et de ses obligés. Des organisations « panafricanistes » y relaient des messages prorusses et organisent des manifestations hostiles à la présence française au Sahel. Parmi elles, la Coalition des patriotes africains du Burkina Faso, proche d’un mouvement frère au Mali, « Yerewolo », dirigé par un certain « Ben le Cerveau » – de son vrai nom Adama Diarra -, fervent défenseur de la présence de Wagner au Mali.
Le Burkina Faso est, de surcroît, de plus en plus exposé à la propagande russe diffusée par les médias d’Etat Russia Today (RT) et Sputnik, d’après les chercheurs de l’IRSEM Maxime Audinet et Emmanuel Dreyfus. En épluchant les estimations d’audience fournies par le site Similarweb, ils ont constaté une percée dans ce pays. « Il a attiré en avril 2022 près de 8,8 % des audiences (3e position après la France et la Suisse, mais devant le Canada et la Côte d’Ivoire) et 15,5 % (2e position après la France) des visites totales des sites francophones de RT et Sputnik » détaillent-ils dans une étude publiée en septembre 2022.
Fort de cette influence russe grandissante, Evgueni Prigogine espérait faire affaire avec le « premier putschiste » de janvier 2022, Paul-Henri Sandaogo Damiba. A l’époque, il l’avait d’ailleurs félicité et salué l’avènement du « temps des colonels » en Afrique, dans le sillage des coups d’Etat au Mali et en Guinée. Dans la foulée, l’un des bras droits de Prigogine en Centrafrique, Alexandre Ivanov, avait proposé à Damiba ses services. Des émissaires du groupe avaient même été reçus à Ouagadougou. Mais le lieutenant-colonel burkinabé n’a manifestement pas souhaité conclure.
Il est trop tôt pour savoir si la « galaxie Prigogine » a joué un rôle quelconque dans sa chute et si le nouveau putsch présage d’un partenariat renforcé avec Moscou, sur le modèle du Mali et de la Centrafrique. Toujours est-il que dans les rues de Ouagadougou, le 1er octobre, les manifestants célébrant le coup d’Etat agitaient des drapeaux russes… Ce même jour, le nouveau maître du pays, Ibrahim Traoré avait accusé la France – sans présenter la moindre preuve – d’abriter dans l’une de ses bases militaires le putschiste déchu en vue de « planifier une contre-offensive ».
La réponse de ses partisans ne s’est pas fait attendre : un déchaînement de violences s’est abattu contre des symboles français. L’ambassade de France caillassée à Ouagadougou, l’Institut Français de Bobo-Dioulasso mis à sac… Une fois de plus, Paris est accusé de « néocolonialisme », le refrain favori des influenceurs prorusses. « L’empire néocolonial français s’est effondré », pouvait-on lire sur le site de l’agence de presse russe RIA-FAN, liée à Prigogine. « Si le nouveau gouvernement prend la même position vis-à-vis de Paris que les autorités du Mali, cela signifiera que sous Macron, la France a perdu trois pays » (Centrafrique, Mali et Burkina Faso, NDLR), ajoute « l’expert militaire » interrogé dans cet article.
Tapi dans son bunker moscovite, Poutine a raflé un point dans sa guerre contre « l’Occident collectif ». Quelle ironie, à l’heure où le « tsar » vient d’annexer quatre régions ukrainiennes… dans une campagne coloniale d’un autre temps.