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Ukraine : Loukachenko, la « marionnette » de Poutine au bord de la guerre

De plus en plus vassalisé par le président russe, le dirigeant de la Biélorussie pourrait être contraint d’engager des troupes en Ukraine.

C’est un numéro de flagorneur dont le président biélorusse Alexandre Loukachenko a dorénavant l’habitude. Jeudi 30 juin, au moment d’accueillir Sergueï Lavrov à Minsk, il s’est réjoui, devant les caméras, de « rencontrer le meilleur diplomate du monde », avec force embrassade, salamalecs et rires déférents sous la moustache. De son côté, le ministre russe des Affaires étrangères, plus sobre, s’est gardé de toute réciprocité.

Soutenu sans retenue par Vladimir Poutine après l’élection présidentielle de 2020, sur laquelle pèse de forts soupçons de fraude, Loukachenko se plie dorénavant à tous les desiderata de son voisin. La montée des tensions entre l’Occident et Moscou et la guerre en Ukraine ne font qu’accélérer la vassalisation de son régime, réduit à jouer les faire-valoir.

Cinq jours avant sa rencontre avec Lavrov, Loukachenko avait ainsi fait le déplacement à Saint-Pétersbourg. Vladimir Poutine l’y avait convoqué pour fêter les 30 ans de l’ouverture de relations diplomatiques entre leurs deux pays… pile au moment où les sept puissances du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni) se retrouvaient en Allemagne pour évoquer la guerre en Ukraine.

« Loukachenko est isolé »

Au cours d’une mise en scène retransmise à la télévision, Loukachenko a demandé à son parrain russe de l’aider à répondre aux politiques « agressives » et « conflictuelles » de ses voisins européens, la Lituanie et la Pologne, évoquant également de prétendus « vols d’avions de l’Otan transportant des armes nucléaires » à sa frontière. En réponse, le maître du Kremlin lui a promis des missiles capables d’accueillir des charges atomiques « dans les mois qui viennent ». Un nouvel épisode dans l’escalade des menaces envers l’Ouest, alors que la Lituanie a instauré des restrictions sur le transit entre la Russie et l’exclave de Kaliningrad.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul signal envoyé ce jour-là par Moscou. Au petit matin, des bombardiers ayant décollé de Russie ont tiré une douzaine de missiles sur des cibles ukrainiennes depuis l’espace aérien biélorusse. La manoeuvre est venue rappeler que c’est depuis ce territoire que l’armée russe a mené l’invasion de toute la partie nord de l’Ukraine, vers Kiev et Tchernihiv, avant un retrait, fin mars, pour concentrer ses forces sur le Donbass.

« Depuis la répression des manifestations contre son régime, Loukachenko est isolé et Poutine reste son seul partenaire, souligne l’ancien diplomate biélorusse Pavel Slunkin, chercheur au Conseil européen des relations internationales. Sans son soutien militaire et financier, il n’aurait pas survécu. Mais le prix à payer pour rester au pouvoir, c’est de ne plus être un acteur autonome, mais la marionnette de Poutine. »

« Milice populaire »

Jusqu’à présent, Poutine n’a pas exigé de son vassal qu’il envoie des troupes en Ukraine. « Pour prendre le contrôle de Kiev, Poutine pensait qu’il n’avait pas besoin des soldats biélorusses, qui n’étaient de toute façon pas préparés à une telle opération », estime Pavel Slunkin. Pourtant, Loukachenko se disait prêt à en envoyer dès le déclenchement de l’invasion, le 24 février dernier. Depuis, en reconnaissant que l’offensive « s’éternise », il appelle à la paix… tout en se préparant à la guerre.

Minsk a ainsi annoncé la création d’un commandement opérationnel au sud du pays, ainsi qu’une « milice populaire » pour renforcer l’armée régulière (45 000 soldats) et les forces de défense territoriale (120 000 hommes), dont une partie mène des exercices d’entraînement près de la frontière polonaise. « Cela ne veut pas dire qu’elle va envoyer des troupes combattre en Ukraine, mais elle est plus en mesure de le faire qu’en février dernier », indique Pavel Slunkin.

Mais est-ce vraiment la volonté de Loukachenko ? Pas si sûr. On peut ainsi remarquer que l’opinion publique biélorusse n’a pas été préparée à une telle intervention, comme l’a été, depuis 2014 et la révolution de Maïdan, celle de Russie. Certes, les informations télévisées, à Minsk, relaient les discours de propagande sur la « dénazification » nécessaire de l’Ukraine et la prétendue responsabilité de l’Occident. « Mais ce n’est jamais le sujet principal des journaux, pas même le 2ème ou le 3ème », précise Pavel Slunkin.

Vers une annexion de la Biélorussie à la Russie ?

Avant l’invasion, un sondage du groupe de réflexion Chatham House avait montré que seuls 13 % des Biélorusses souhaitaient envoyer des troupes soutenir la Russie. Sur le territoire biélorusse, des dizaines de sabotages ont été menées contre les voies ferrées empruntées par l’armée russe pour transporter son matériel. « Pour autant, le plus risqué, politiquement, pour Loukachenko, reste de contrarier Poutine. S’il lui demande, il enverra donc des troupes, quitte à provoquer une nouvelle vague de mécontentement », considère Pavel Slunkin.

Le processus de vassalisation ira-t-il jusqu’à une intégration pure et simple de la Biélorussie à la Russie ? Le diplomate n’y croit pas : « Si le régime de Poutine survit à la guerre en Ukraine, Loukachenko devra céder de plus en plus de souveraineté à Moscou, mais cela n’ira pas jusqu’à l’annexion. » Un retour en arrière, à l’époque où la Biélorussie constituait l’une des quinze républiques membres de l’URSS. Et voyait son sort décidé directement au Kremlin.