Le dilemme de l’Europe face aux terroristes qui ont renversé Assad en Syrie
Pour traiter avec le nouveau pouvoir à Damas, l’UE doit lever son arsenal juridique. Car le groupe d’Al-Jalouni est toujours placé dans la liste des organisations terroristes.
La chute du régime Assad place l’Union européenne dans une position délicate face au HTS (Hayat Tahrir al-Sham), désormais aux commandes à Damas. Le groupe, inscrit sur la liste des organisations terroristes liées à Al-Qaïda depuis 2014, fait l’objet de sanctions internationales contraignantes que Bruxelles ne peut lever unilatéralement.
La Commission européenne, qui transpose les décisions du Conseil de sécurité de l’ONU, place en effet le Front Al-Nosra (ancien nom du HTS) et ses multiples avatars sous un régime strict de gel des avoirs et d’interdiction de mise à disposition de ressources économiques. Il s’agit du règlement d’exécution n° 583/2014 de la Commission européenne. Cette situation complique singulièrement toute perspective de normalisation des relations avec le nouveau pouvoir syrien. Il faudra une décision unanime du Conseil et une évolution à l’ONU. De son côté, Londres évoque une décision « rapide » quant à la révision ou non du statut d’organisation terroriste du HTS.
Les diplomates européens se trouvent ainsi confrontés à un dilemme cornélien : comment dialoguer avec une entité considérée comme terroriste mais devenue, par la force des événements, l’autorité de fait de la Syrie ? Le porte-parole de la Commission l’a d’ailleurs confirmé lors de son point presse : « L’Union européenne n’entretient actuellement aucun contact avec le HTS ou ses dirigeants. Point final. Cependant, une fenêtre d’opportunité semble s’ouvrir. À mesure que le HTS prend de plus grandes responsabilités, nous devrons évaluer non seulement leurs paroles mais aussi leurs actes, » déclare prudemment le porte-parole de la Commission. Une formule qui laisse entrevoir une évolution possible de la position européenne, sous réserve de gages tangibles de la part du nouveau pouvoir syrien.
La feuille de route de Kaja Kallas
Le ton de la déclaration de Kaja Kallas, la Haute Représentant de l’UE, reflète cette ambivalence bruxelloise. Si elle salue « un moment historique pour le peuple syrien », elle fixe aussi des conditions claires pour toute évolution : respect de l’intégrité territoriale syrienne, protection des minorités, notamment chrétiennes, et soutien au processus onusien mené par l’envoyé spécial Geir Pedersen. Une feuille de route diplomatique qui pourrait servir de base à une réévaluation progressive de la position européenne, pour peu que le HTS donne des gages concrets sur ces différents points.
La chute de Bachar el-Assad intervient alors que l’UE avait l’intention de nommer un « envoyé spécial » européen à Damas. Initiée cet été à la demande de l’Italie et de l’Autriche, cette nomination visait d’abord à explorer les possibilités de normalisation avec le régime d’Assad et à faciliter le retour des réfugiés. « Le processus de nomination est en cours », indique le porte-parole de la Commission, mais la chute du régime change radicalement la mission. Quel serait le mandat d’un tel envoyé spécial ? L’envoyé spécial, qui devait gérer un retour progressif à la normale avec Assad, devrait désormais naviguer dans les eaux troubles d’une Syrie sous contrôle du HTS…
L’organisation Hayat Tahrir al-Sham a multiplié les changements d’identité, comme en témoigne le règlement européen qui l’inscrit sur la liste des sanctions. Le groupe y figure d’abord sous son nom principal « Front Al-Nosra pour le peuple du Levant », suivi de diverses variations en anglais et en arabe, notamment « Front de la Victoire » ou « Réseau Ansar al-Mujahideen ». Cette multiplication des dénominations n’est pas anodine : inscrit initialement comme simple « alias d’Al-Qaïda en Irak » jusqu’en mai 2014, le groupe tente, depuis, de se distancier de ses origines djihadistes.
Les nouveaux habits d’Al-Joulani
Son leader, Abu Mohammed al-Joulani, lui-même visé par les sanctions, illustre cette volonté de transformation : il a quitté la tenue militaire pour le costume cravate et accordé des interviews aux médias occidentaux. Une métamorphose de façade qui n’a, pour l’instant, pas convaincu Bruxelles de lever ses sanctions.
En attendant, l’UE se trouve contrainte à une forme de grand écart diplomatique. D’un côté, maintenir les sanctions liées au statut terroriste du HTS, de l’autre, gérer les urgences sur le terrain. Plusieurs dossiers brûlants seront sur la table du Conseil des affaires étrangères du 16 décembre.
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