Réforme du statut des magistrats : Ouahbi intransigeant sur les questions fâcheuses
Les réformes relatives aux magistrats ont été adoptées en commission à la première Chambre sans changements majeurs sur le fond. Des réformes loin de faire l’unanimité chez les juges.
La réforme du statut des juges poursuit son circuit législatif, une nouvelle étape est franchie mardi à la Chambre des Représentants après le dépôt d’amendements relatifs à deux projets de loi. Il s’agit du projet de loi organique N°14.22 modifiant et complétant la loi organique Nº106.13 portant statut des magistrats. Le second concerne la réforme de la loi organique N°100.13 relative au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ).
Des textes d’une importance capitale pour la profession du moment qu’ils modifient plusieurs aspects relatifs à l’exercice de la fonction avec un impact indéniable sur la carrière des magistrats. Réunis mardi à la Commission de Justice et de Législation, les députés ont adopté le texte avec 17 votes favorables et 3 abstentions.
Les textes apportés par le ministre Abdellatif Ouahbi ont subi quelques changements, sachant qu’ils ne font pas l’unanimité chez les magistrats. Le ministre a accepté quelques amendements qui n’ont pas changé radicalement les moutures initiales. Les députés ont jugé judicieux d’associer davantage le Conseil supérieur et le Ministère public dans la gestion financière des tribunaux. Un amendement justifié par l’importance du Parquet en tant que pilier du pouvoir judiciaire. Aussi, le ministère de tutelle a-t-il accepté des amendements suggérant l’augmentation de la durée du mandat des membres du CSPJ à 5 ans et la prolongation du délai de dépôt des candidatures à 72 heures au lieu de 48.
Statu quo sur les questions qui fâchent
Concernant les magistrats, les amendements n’ont pas touché les dispositions qui ont suscité la polémique, notamment l’épineuse question des délais de traitement des dossiers dévolus aux juges. En vertu de la nouvelle loi, et sauf changement ultérieur à la Chambre des Conseillers, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire est habilité à fixer des “délais indicatifs” en fonction de la nature des affaires judiciaires. Un changement qui fait grincer des dents chez les magistrats d’autant plus que le ministre de tutelle avait évoqué la possibilité de sanctionner les juges en cas de dépassement des délais.
Certains magistrats ont vu en cela une façon de les rendre pleinement responsables des retards liés au traitement des dossiers qui sont parfois, estiment-ils, indépendants de leur volonté et sont liés plus aux complexités procédurales. Pour sa part, le Club des Magistrats suggère de maintenir la loi inchangée sous prétexte que la fixation des délais n’est pas du ressort du CSPJ et que cela doit se faire par révision de la procédure du Code pénal.
Plus de nuances dans l’évaluation des magistrats
Les points de divergence ne s’arrêtent pas là. L’évaluation des juges fait également débat puisque la loi réformée, telle qu’adoptée en commission, élargit la liste des actes passibles d’une suspension de la fonction du magistrat concerné. Il s’agit des cas de “violation du secret professionnel”, “divulgation du secret des délibérations” ou de “diffusion d’un verdict avant sa prononciation”. Ce que rejette le Club des Magistrats qui revendique une formulation plus rigoureuse et plus minutieuse des cas de fautes graves pour éviter les difficultés d’interprétation.
La réforme, qu’on le rappelle, renforce les sanctions disciplinaires (voir repères) que les magistrats semblent accepter. Toutefois, une nouveauté est introduite dans l’article 97 de leur statut fait couler beaucoup d’encre. Il s’agit du cas de bavure légère non passible d’une poursuite disciplinaire. Le magistrat concerné peut se voir adresser des observations qui ne sont, pourtant, pas considérées comme mesures disciplinaires.
Le Club des Magistrats y voit une contradiction du moment qu’il estime que le juge ne peut faire l’objet d’une mesure pareille tant qu’il n’a pas commis de véritable faute professionnelle. Raison pour laquelle le cahier de doléances du Club, dont “L’Opinion” détient copie, plaide pour qu’une commission disciplinaire soit habilitée à adresser les observations au lieu du Conseil à condition que ces observations ne soient pas insérées dans le dossier du magistrat. Une proposition qui n’a pas été prise en compte lors du dépôt d’amendement.
Pour les raisons susmentionnées, ces derniers voient d’un oeil suspicieux l’autorisation du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire pour procéder à l’évaluation de la performance des magistrats et pour prendre les mesures nécessaires afin d’améliorer leur rendement et l’efficience de la justice.
En effet, la loi prévoyait qu’un rapport d’évaluation soit élaboré à la fin de chaque année (décembre). La réforme allonge la liste des critères d’évaluation pour inclure “le respect de l’éthique de la profession”. Une mesure inutile aux yeux du Club des Magistrats.
De son côté, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, veut aller jusqu’au bout de sa réforme après avoir franchi le seuil de la première Chambre. Il reste ainsi fidèle aux engagements dont il a fait part depuis sa prise de fonction. Depuis qu’il est devenu “Garde des Sceaux”, Ouahbi a réitéré plusieurs fois qu’il veut revoir en profondeur les lois relatives à l’exercice des professions judiciaires dans le but, selon lui, de parer aux dysfonctionnements du système judiciaire.